Thursday, March 30, 2006

Critiques

VOIR

30 mars 2006

Funambules
Marie Laliberté

Qui est fou? Qui est sage? Quelle que soit la réponse, ce spectacle lumineux montre la lune - sa poésie, son isolement -, et touche l'indicible.

Quand le sage pointe la lune, le fou regarde le doigt, création du Soucide collectif, réserve une des bien belles surprises de l'hiver théâtral.

Spectacle créé et interprété par Serge Bonin, Catherine Dorion et Nicola-Frank Vachon, mis en scène par Marc Doré, Quand le sage pointe la lune... offre un voyage dans l'univers de clowns attachants et railleurs, entre naïveté, ironie et inquiétude, rire et gravité. Difficile de résumer la pièce. Succession de tableaux, entre lesquels se tisse la trame de quelques thèmes récurrents, le spectacle s'organise surtout autour des trois acteurs et de leur alter-ego - le nôtre aussi - au nez tout rond. Avec une légèreté parfois étonnée, les clowns suaves campés par ces trois comédiens visent avec aplomb des questions graves: la mort, l'amour, la solitude, les dérapages de notre société occupée, individualiste et matérialiste. Tout ça, et plus, avec l'air de ne pas y toucher, dans un foisonnement d'images et de fantaisie, des morceaux de poésie pure et de récupération - à l'instar du très beau décor de Vanessa Cadrin, montagne d'objets hétéroclites, rebuts d'une société moderne gâtée, repue. Fil conducteur: le quotidien, ses petits gestes, qui nous ancre dans le réel et parfois, nous y retient.

Prologue sur une scène parodique où se succèdent les demandes - d'emploi? de subvention? - se butant constamment au refus catégorique, au nom des valeurs d'efficacité, de performance. Comme son envers, la scène suivante, véritable ouverture du spectacle, nous montre les clowns, trois fous magnifiques qui, avec musique et objets, installent un univers improbable - le leur -, étrange, rapiécé et éblouissant, dans lequel ils nous invitent à plonger. Le jeu clownesque et ses représentants, excellents, nous emmènent ailleurs, totalement, tout en nous parlant de nous, de notre vie, avec ses tristesses, ses mesquineries, ses éclats de rire et malgré tout, son émerveillement.

Malgré quelques scènes un peu moins réussies, cette création étonne, fait rire, interroge et émeut profondément. Quand le sage pointe la lune... a la beauté absurde du rêve, sa force prégnante et, comme lui, nous poursuit bien après le réveil par des impressions diffuses, mais combien précieuses. Et ne nous lâche plus.


SOLEIL

25 mars 2006

Des nouvelles de la planète bleue
Par Jean St-Hilaire

Facultatif à la naissance, le faux nez rouge est obligatoire à l'âge de raison, que dire à l'âge de déraison! C'est par convention qu'on ne le porte pas. La courte vue, l'amnésie, les pitreries et les turpitudes sévissent trop partout pour qu'on ne soit pas tous plus ou moins dignes du lumignon. Par complaisance et orgueil, nous réservons cette mission expiatrice aux clowns.

Trois représentants de leur confrérie font rapport au studio de Premier Acte jusqu'au 8 avril. Attention, c'est sérieux. Sous la direction avisée de Marc Doré, disciple de Jacques Lecoq qui a cartographié le gouffre entre la prétention et le «savoir-être» des humains, Serge Bonin, Catnerine Dorion et Nicola-Frank Vachon livrent une captivante anthologie personnelle des maux de l'âme et de cette verruqueuse planète que devient la nôtre.

En regard du fond comme de la forme, leur spectacle est très varié. Il intègre le mime, le clown et le bouffon, à ne pas confondre ces deux derniers, le bouffon étant ce clown défroqué passé maître dans l'art de faire souffrir comme de flatter les autres clowns. Il est aussi ironique, mordant même, un trait très bien inscrit dans l'enveloppe visuelle du spectacle. Loufoques, les costumes de Virginie Leclerc crient l'envie d'être original, le dilemme impossible d'être in en restant unique. Ce sont des accoutrements d'un clownesque réussi. Éloquent lui aussi, le décor de Vanessa Cadrin est une Gaïa au vilain teint, une Terre ployant sous les gadgets de la surconsommation et qui tend ses excroissances vers les cintres, comme en supplication. C'est un fouillis à l'image du flou intérieur de ses habitants.

Le morceau n'est pas toujours, loin de là, la thèse brutale et verbeuse que peut laisser croire notre description. On procède par évocation et suggestion dans plusieurs tableaux. Ainsi, la saynète entre un clown assis et suffisant et un clown debout et surmené parle t-elle clairement d'asservissement et de pauvreté sans jamais prononcer ces mots. Directe dans son évocation, très poétique, comme plusieurs passages de ce spectacle aux métaphores ardentes, celle sur le «soucide» établit avec une désinvolture bien dosée un lien transparent entre le désespoir suprême et le besoin d'amour.

Il y a des répits. Dans un numéro de mime tordant, Nicola-Frank Vachon dépeint l'effet produit sur un auditeur concentré et ultrasensible par un morceau de violon très modulé. Parfois, attitudes et mots accusent la cruauté, comme dans ce passage où une vedette croise une vieille connaissance impressionnable.

De qui parlent ces clowns qui clavardent, déforment les mots, se répètent, associent les idées de façon farfelues; ces clowns et bouffon qui jouent la séduction, l'amour, le mensonge, la rupture, la solitude des «pas là», l'«individualite» et l'«écœurite» aigües, et qui par bribes de phrases assassines glorifient la consommation et sa frénésie, malgré l'assurance de ne jamais devenir «complets»? De qui parlent-ils sinon de nous?

Avec énergie, perspicacité et talent, ils braquent leur téléscope sur notre obsession de la conquête de l'inutile et notre habileté à rester aveugles à l'essentiel. Chaudement recommandé à qui attend du jeu théâtral qu'il déjoue les apparences.


IMPACT CAMPUS

28 mars 2006

Sweet Trash Clowneries

par Josianne Desloges - Arts et spectalces

Les trois clowns de la troupe Le Soucide Collectif s’en donnent à cœur joie sur les planches de Premier Acte. Le spectacle Quand le sage pointe la lune, le fou regarde le doigt allie clowneries et cynisme dans des numéros aux thématiques sociales et humaines!

Marc Doré signe une mise en scène chargée et intelligente, c’est «exprès plein de trous, de manques, qui [nous] font une place». Les interprètes passent constamment du clown, mignon, un peu naïf, à fleur de peau, en manque chronique d’affection, à l’automate cynique, plus froid, plus rationnel et pathétiquement pathétique. Les «Là» et les «Pas Là» pour reprendre la magnifique fable finale de la pièce, racontée par la comédienne Catherine Dorion à une poupée qui lui ressemble étrangement.

Les sketchs en solo, en duo et en trio s’enchaînent à un rythme effréné. Quiproquo, triangle amoureux, jeux enfantins, saga bureautique, tout y est pour former un spectacle divertissant, varié et hilarant. Et en plus, on réfléchit ! Suicide (ou soucide), mort, maladie et névroses existentielles sont au cœur de la pièce éclectique qui nous parle de nous avec franchise, brusquerie, mais aussi avec beaucoup de sensibilité. Il faut voir les deux comédiens diagnostiquer une «individualité» à leur consœur! La scène où les trois personnages, corde de pendu et médicaments en guise de collier funèbre, se disputent pour mourir est, littéralement, à mourir de rire. Nicola-Frank Vachon livre une performance à couper le souffle lorsqu’il interprète une pièce de musique classique avec… son corps! Contorsions faciales, œillades dramatiques, gigue de babines, tout y est et le public est plié en deux.

Le décor de Virginie Leclerc, un amalgame d’objets et de meubles qui semble émerger du carrelage de boîtes de cartons, est une ressource inépuisable d’accessoires loufoques. Les comédiens utilisent tour à tour télévision, cuvette («le monde fait vraiment ch…!»), fauteuil (modifié habilement en vieille dame aplatie), poupée, cahier, seaux, alouette dans les dialogues et les pantomimes. Lorsque les différents seaux sont manipulés pour représenter une multitude de coïts (avec condom géant, crème fouettée et tout ce qu’on peut imaginer) l’absurde atteint son paroxysme.

Le spectacle Quand le sage pointe la lune, le fou regarde le doigt tient à la fois de la chronique sociale, du délire circassien et du pur plaisir théâtral. Les trois jeunes interprètes, aussi concepteurs des textes et délires, sont bourrés de talent. Le tout est poétique, comique, cynique et compose un joyeux fouillis bien huilé dont on sort exténué et revigoré.


Monthéâtre.qc.ca

1er avril 2006

par Yohan Marcotte

Ce spectacle vous sert de la folie en vrac. Trois clowns de théâtre disjonctés font une ronde et nous entraînent dans leur univers d’aliénation et aussi de créativité. Le décor qui est une accumulation d’objets divers sert de tremplin à l’imagination des trois comédiens. Parfois leur jeu devient très visuel : on s’amuse à créer des images en assemblant la matière disponible sous la main. D’autre part, le délire est aussi de l’ordre du langage. Il y a, entre autre, cette séquence où on vante l’importance d’avoir du « pow » et à partir duquel son, on fabrique les jeux de mots les plus farfelus.

À cette folie s’ajoute le regard sur ce qui rend fou, ce monde installé autour de nous. Les relations humaines, la solitude, la bureaucratie, l’amour sont tour à tour les déclencheurs des mécanismes de survie du trio de clown. Passant de moments cabotins à des moments tendres et même émouvants, Serge Bonin, Catherine Dorion et Nicola-Frank Vachon portent ce spectacle avec brio, dévoilant toute la gamme de leur talent. Le public ressent le plaisir que ce trio éprouve à jouer ensemble. Eux-même créateurs du spectacle, ils ont un regard particulier et surtout une manière originale de représenter l’existence. Ils sont aussi bien à l’aise avec la panoplie de propos qui constitue la mosaïque de ce spectacle échevelé. D’ailleurs, bien que ce spectacle soit court, environ une heure trente, il gagnerait en vigueur en resserrant quelque peu le nombre d’escapades que trace ce texte non-linéaire. Une réorganisation des séquences pourrait être un atout afin de permettre une certaine montée dramatique plus concise. Dans le présent spectacle, on sent que la recette s’étire à partir des deux tiers de la représentation.

Tout de même, il faut féliciter le tonus qu’a su insuffler Marc Doré à la mise en scène de ce spectacle, incarné de façon simple et juste par les comédiens. Plusieurs petits détails qui sont autant de trouvailles, tel le fauteuil funéraire, mais surtout l’incontournable prestation de Nicola-Frank Vachon en chef d’orchestre qui « dirige » la musique à partir de l’expression de son visage. Un tour de force qui suscite des applaudissements bien mérités.

Parfois sombre et parfois lumineuse, cette production fait du bien à l’âme. Elle permet de se placer à proximité d’une légèreté qui n’a rien de simpliste. On ouvre beaucoup de fenêtres. Sans aller à fond de tous les sujets abordés, le spectateur rencontre de la matière à digérer pour quelques temps. Payez-vous du bon temps avec ces gens au regard innocent et pas bête.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home